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Venise, la sérénissime, la téméraire – décembre 2021

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décembre 7, 2021 par Isabelle

Dimanche 5 décembre

Voiture 6, place 52…Le TGV roule vivement, je somnole. Passé Lyon, puis Chaméry, où descendent les voyageurs chargés de skis et de snow dans leur housse, la neige blanchit bas côtés et flans de collines. Grisaille et nuages bas, givres sur les arbres. St Jean de Maurienne! Il floconne…Passé les sommets alpins neigeux, le soleil du sud resplendit, descendant néanmoins.

Le train entre en gare à Santa Lucia. Il fait nuit noire. Une petite pluie glaciale douche la lagune. Le vaporetto ligne 1 emprunte le canal de la Giudecca parce que c’est l’aqua alta ; il n’y a pas assez de hauteur sous les ponts du Canal Grande. Pas un chat sur les quais en ce dimanche soir d’hiver. Tout est vide, sombre, froid. Puis, elle apparaît, scintillante sur la surface de mica…Les eaux de la lagune reflètent les feux des Doges, du Lido, des palais. Arrêt Giardini pour rejoindre Hôtel Corte Contarina https://www.hotelcortecontarina.it/ que je peine à retrouver : Chambre 110.

Lundi 6 décembre,

Plein soleil, les rayons sont démultipliés sur l’eau de la lagune. Le clapot berce cette splendeur en sursis.

Venise est un défilé de mode…Où les petites culottes tombent du ciel, ou plutôt des cordes à linge tendue entre les maisons…Les vénitiens sont chics. Les hommes pourraient presque tous être inscrit sur le groupe « cheveux de riches ». Les femmes arborent des fourrures, qu’on image vraies. Seuls les touristes sont en froc et en sur-bottes plastique. Il y a aussi des hommes qui fouillent les poubelles, d’autres qui plongent leur doigt dans le nez, des ramasseurs d’ordures, des livreurs DHL en barge….La vie urbaine ordinaire, mais sans voiture.

Jardins de la Biennale. En face, le Lido de l’hôtel des bains de mort à Venise, où Bjorn Andrésen, le plus beau garçon du monde dixit Visconti, séduisit à mort Dirk Bogarde. Puis c’est la zone militaire, l’école navale, non loin de l’arsenal. Depuis le pont de bois au-dessus du canal, j’aperçois pour la première fois les sommets enneigés des Dolomites. Le soleil chauffe mes épaules, le clapot fait tanguer les barques sous le pont. Et partout, le lion vénitien le lion, le lion…

Au Giardini, défilent les marcheurs et les coureurs à écouteurs. Autour des bancs roucoulent les pigeons, les promeneurs de chiens et les vieux. Presque tous les pins sont soutenus par des béquilles, des sangles, des cordes tant ils sont penchés. Passé vingt ou trente mètres de haut, on les libère car leurs racines ont dû atteindre le centre de la terre.

Partout ça sent la lagune, la mer, les fruits de mer et l’ail. Le Spritz bat tous les records sur les tables, avec sa couleur orange, reconnaissable entre tous.

Aqua alta : elle est arrivée sournoisement au cœur de la nuit, baignant la place, le lion, le pied de l’immense sapin de Noël dressé face au palais des Doges. Elle remonte par-dessous, moutonne, gargouille puis noie les dalles, les places, les ruelles, les pieds des palais. Puis, en silence, elle s’en va. En milieu de journée, elle était repartie oubliant ça et là quelques flaques.

Autant le front du Canal Grande est ensoleillé et chaud, autant les ruelles enclavées demeurent humides et glaciales. Ouf, le Florian est ouvert jusqu’à 21h.

On a tout le temps !

Dans les boutiques de luxe, où aucune paire de chaussures à strass vaut moins de 900 euros, j’essaye de deviner qui sont les acheteurs. Devant moi, « j’hypothèse » un couple de russes.

Plus loin, vers le Palazzo Grazzi, au détour d’une place ouvrant sur calle stretta Morosi o pisani, des gosses, des petits mâles jouent au foot à grand renfort de « va fan culo » qui résonnent sur les dalles et entre les deux statues de marbres noircis, figurant des hommes nus domptant des lions, qui servent de but.

 

Tout se fait au diable à Venise, ils se débrouillent bien avec les vénitiens, à charrier, tirer, traîner, enjamber les ponts et les canaux. Ils sont résistants, malgré cette aqua alta qui menace heure par heure. En dépit de l’hyper tourisme, les canaux restent propre, les courettes correctes. Quelques papiers, quelques mégots, un ou deux masques, rien de repoussant pour une ville de presque 60000 habitant. Pas une déjection, pas un rat, seulement des mouettes, des goélands, les pigeons et les chats.

Au détour d’une école de musique, résonnent flûtes et pianos, un groupe d’enfants avec leurs étuis à guitare sur le dos chahutent, vocifèrent, comme les gondoliers qui s’interpellent au détour d’un pont ou d’un canal. Un baryton pousse un opéra sur une gondole  en entrant dans le canal grande.

Au pied du Rialto, c’est la foire d’empoigne des bateaux. Outre les selfies, les boutiques de souvenirs, les tables couvertes de Spritz, l’animation sur l’eau est frénétique. Barques à moteurs, barges de travaux avec grue, bateau taxi, gondoles, vaporetto, barque sportive d’entraînement pour la régate des gondoliers, bateau cargo, tous se croisent, s’interpellent, s’appontent, reculent, repartent, voguent, à grand coups de remous devant le Rialto. Une cacophonie navigante. Aucun doute, Venise est un port, et un grand port, démultiplié. Et moi, je trimbale ma solitude devant un thé vert ! J’ai bien dit VERT ! Solitaire comme un vendeur de chez Gucci, ou d’une galerie d’art contemporain. Mais heureusement, j’ai la solitude prolixe.

Pour 2 euros, une gondole navette nous fait passer d’un embarcadère près de St Marc à celui d’en face, Punta de la Dogana. Ce qu’a fait Pinault entre le Palazzo Grassi et La punta de la Dogana est magnifique, restauration de bâtiments remarquables et ouverture de grands centres d’art contemporain, 15 euros pour visiter les deux ! Tarif rare à Venise…

Chiens et loups sur la lagune, je distingue mal les embarcations, plutôt des bateaux fantômes que l’on devine grâce aux lampions oscillant au gré des vagues.

Lune, étoiles, soleil mourant à l’ouest, Venise étincelle. Les guirlandes de Noël scintillent, un guitariste joue en boucle jeux interdits, ce qui finit par être agaçant d’ailleurs, pourtant j’ai donné ma pièce…Un pape en grande livrée 18è me croise sur un pont, suivi par une équipe de tournage. Un jeune avec des skis sur l’épaule doit revenir des pistes alentour.. Un cavalier tout boueux en bottes, casque et cravache, qui monte juste à côté de Mestre.

Au Florian, devant l’incontournable chocolat chaud chantilly, j’entends « les feuilles mortes se ramassent à la pelle »…ah ces italiens ! Vive la France ! Vive l’Europe !

Au menu du soir, fritto misto et porsecco.

7 décembre

20 euros le billet vaporetto pour aller passer la journée entre les autres îles de la lagune Torcello et Burano. Ambulances, pompiers, corbillards croisent autour de nous. Les bateaux font la queue à la station service de Fondamente Nuove, l’essence est à 1,996 le litre. Les Dolomites enneigées surplombent la lagune étincelante. Sur la droite, le cimetière St Michel flotte comme une arche en pierres roses, sertie de clochetons de marbres et hérissée de hauts cyprès. Passé Murano, les clochers de Burano et de Torcello. Celui de Burano penche dangereusement.

De Burano, il faut prendre la navette qui traverse toutes les 15 minutes. Torcello est une partie de campagne. Le calme, le grand silence…Du haut du campanile, on distingue les champs baignant dans la lagune, herbages, maraîchages, tamaris, c’est la campagne de Venise. L’eau des canaux est tellement calme, immobiles, limpide presque. Un faisan picore au bout d’un jardin.

La cathédrale Santa Maria Assunta, d’architecture vénéto-byzantine, date de 636. Elle est l’un des édifices religieux les plus anciens de Vénétie.

Ses mosaïques inouïes me font penser que Dieu existe. Cette église me met à genoux.

Un soleil rouge descend sur la lagune qui se « grisaille ». Burano, éclatante de couleurs, est une ville de dentelles, tout comme Murano est une ville des maîtres verriers. Merletti Burano – musée de la dentelle.

 

 

Une crèche aquatique se détache en contre jour devant le coucher de soleil ; moutons, chameaux et mages sortent des eaux. Seul le clocher, tout incliné qu’il est, capte les derniers rayons. Les lampions s’allument sur les quais, la lagune frémit, s’émeut, respire, reflète chaque éclairage. Les enseignes ressortent ; Carabineri, Fritto Misto, L’orchidea, la Bottega dell’ Arte, Crédit Agricole ? Et là tu tombes ? Dans l’église sur la place, un bedeau astique les candélabres. Une femme pousse un fauteuil roulant et s’arrête devant chaque sanctuaire pour que sa passagère se signe et dise sa prière. Un père noir dit la messe du mardi soir pour une vingtaine de fidèles. L’obscurité a envahit la lagune. De très loin, on distingue les fenêtres de l’hôpital de Venise, puis on devine le cimetière St Michel qui dort déjà…

8 décembre, jour de pluie

Grand bien m’a pris d’emporter un parapluie, idée de génie pour déambulation sous pluie incessante ; 4heurs de marche, 2h au Florian, 1 heure au Danielli, 1 h au resto et hop, gelée, épuisée…D »autant que j’avais mes petits mocassins ridicules pour marcher toute la journée dans les flaques, alors que j’ai laissé à l’hôtel mes docs, portées deux jours de suite, sous un grand soleil. C’est malin ! D’autant qu’une petite douleur se pointe au-dessus de la rotule droite – ça va passer!

Pas de gondole pour traverser vers la Dogana aujourd’hui. Elles sont toutes sagement garées dans les différents parkings à gondole, derrière le Florian, sur le côté de St Marc…Donc marche courageuse et humide jusqu’à l’Academia, puis piazzale Roma, Giardini Papadopoli pour rejoindre Cristina à la librairie Mare di Carta, à Fondamenta Tolentini. Spécialisée dans les livres qui touchent Venise et la lagune,dont certains sont en français. Cristina organise de nombreux événements,expositions,  lectures…

C’est ici que sera vendu le livre de dessins sur Venise de l’illustrateur Vincent Brunot. Une exposition de ses dessins est prévue en mars  2022, si la pandémie nous lâche un peu, bien sûr, et avec le Green pass, s’il vous plaît.

 

 

 

 

 

Les librairies et tous les commerces ont grandement souffert de l’aqua alta de 2019. A présent, un système ferme la lagune lors des grandes marées pour diminuer l’impact de cette montée des eaux. Sinon les canaux débordent, et l’eau montent par dessous…

L‘autre librairie emblématique de Venise a même une gondole en son centre et elle s’appelle Librairia Aqua Alta. l’eau rentre par là..

60 cm d’eau pendant presque deux mois en 2019.

 

 

Elle marche, elle marche, elle se paume et saute dans les flaques, circonvolutions, tours et détours, les baleines de mon parapluie touchent les parois des rues étroites. L’eau des canaux est bleue, sans doute à cause des fonds sablonneux. Près de la grande bibliothèque, il y a des tags sur les murs, les premiers que je vois à Venise. Je crois avoir vu des logements sociaux, j’ai même découvert un ou deux repères de SDF, mais pas dans le centre, tout de même, faut pas exagérer. Il fait tellement sombre tout d’un coup. Par habitude et par dépit, je consulte les annonces immobilières. Venise devient triste. L’enténèbrement ! Puisqu’il va falloir quitter notre maison, pourquoi pas un nid à Venise, un petit appartement sous un plafond de poutres, en haut d’un palais, por 300 000 euros… Rialto, St Marco…

Après 4h heures de marche, de pluie, gelée, tremprée, c’est le moment du Bar Hopping => tournée des bars, pas n’importe lesquels, plutôt des cafés et hôtels de luxe.

Au Florian, je lis et j’écris pendant deux heures devant chocolat chaud chantilly, puis un thé earl grey. Cela me rappelle les heures que je passais dans un café en haut de l’escalier Potemkin à Odessa. Il faisait glacial, je tournais au thé et au borsh pendant des plombes devant mon ordinateur, avec un plaid sur les genoux.

Il faut chaud sur les banquettes en velour rouge du Florian, dans ce décor 18è où venait roucouler Casanova en son temps. Croyez-moi, ça réchauffe ! Sauf que je suis agacée par le débit de parole incensé d’une jeune fille juste à côté. Elle me crispe. Je paye et file…

Au Danieli, je commande un vin vénitien moelleux – ça sur-chauffe – à des serveurs qui doivent penser que je suis une vieille intrigante qui traîne dans les hôtels de luxe. Eh bien c’est pas faux ! Plafonds à caissons et à reliefs remarquables portés par des colonnes de marbre, tout comme l’escalier monumental. Un pianiste ressemblant à Jean-Pierre Marielle joue la musique du professionnel avec Bébel! Une espagnole vulgaire vient téléphoner juste à côté de moi. Je fronce les sourcils, les serveurs se précipitent…Rien, je ne dis rien, pas d’esclandre au Danieli!

 

Fritto misto et prosecco = Venezia!

 

 

 

 

 

S’il pleut demain, je saurai quoi faire…La même chose!

9 décembre : et il a plu, mais pas tant !

Ne rien faire, mais le faire à Venise.

Errance…

Paresse…

Tu sors de l’hôtel, tu marches, contournes, enjambes des ponts, longes des quais, des petits ports, des pontons, des courettes et des quatiers mystérieux, pendant une heure ou deux, puis tu débouches….face à ton hôtel.

C’est à n’y rien comprendre, quel bordel! Mais, quel urbaniste à conçu une ville pareille, qui n’a pas de sens, où chaque détour est une perdition, où chaque pas te mène à l’eau, où chaque venelle est si étroite que tu n’en vois pas le bout et que tu replies ton parapluie qui frotte les parois.

Et pourtant, un tel aboutissement architectural, planté sur un banc de sable, des palais si luxueux qui résistent depuis le xè siècle, un enchevêtrement de merveilles, à chaque coin de colonne, une profusion de marbres, de statuaires, de balcons et de pergolas. S’abriter sous la galerie du Palais des Doges, admirer les plafonds à caissons de tous les palais, les escaliers monumentaux, les lustres soufflés sur Murano. Tout au service du luxe. Des fontaines, de églises dans lesquelles tu ne peux que t’émerveiller et prier, car à ce point! Dieu existe!

Comment les vénitiens ont-ils amassé, possédé, dépensé tant de richesse et réussi à construire un tel joyau… Commerce maritime, navigation conquérante, sens de la rentabilité puis de l’étalage de la richesse !

Le rituel Florian où je me sustante et réchauffe pendant deux heures m’a presque emporté en somnolence. Et pourant, malgré les ors et l’argenterie, le chocolat chaud, le thé, les banquettes en velour rouge portent le poids des ans et l’inconfort. On s’y trouve bancale. Du coup, je ne suis pas passée par la case Danieli pour le prosecco, de peur de m’endormir dans un des canapé sous le plafond à caisson. Ce serait du plus mauvais effet!

Ne pas quitter Venise sans une milanaise…Mais elle manquait de cuisse ma milanaise, elle faisait grise mine, dépitée comme les restaurateurs et autres commeçants vénitiens qui n’en peuvent plus après l’aqua alta de 2019, puis les deux ans de pandémie, restaurants vides…Alors la milanaise était sèche et sans tagliatèlles, avec des frites, quelle misère !

Revenir, toujours et encore, à Venise…

Work in progress…

Fautes embarquées…


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