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Ma nouvelle « le linge des gens », finaliste du Prix de la Nouvelle érotique, PNE, (aux avocats du diable)

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juillet 13, 2022 par Isabelle

Les contraintes du Prix de la Nouvelle érotique, organisé par les avocats du diable / Au diable Vauvert.

Le sujet est donné à minuit, il faut rendre sa nouvelle avant 8 heures du matin, le mot final est imposé.

Sujet 2022 : Avis de pas sage

Mot final 2022 : bâton

Sur 294 inscrits, 209 ont rendu leur copie avant 8h, 25 finalistes ont été sélectionnés, dont ma nouvelle ci-dessous.

Le linge des gens

Vincent Vimont était un oisif, un galant. Son nez de haute maison portait bien les années et c’est avec fierté qu’il entrait dans sa trentième. Dandy ? Certes, doté d’un goût affirmé. Il soignait sa garde-robe à grands frais ; chapeau, canne à pommeau d’argent, gants gris perle, gilet brodé, chaîne de montre. Le plus clair de ses journées se déroulait en écriture de billets doux, d’« avis de pas sage » semés de-ci de-là, lui augurant des rendez-vous avec quelques pulpeuses créatures, des heures de nonchalance sur des sofas poudrés et des coussins sentant le musc, le stupre et la luxure. Il lui suffisait de peu ; une gorge, une chute de rein, une épaule, une boucle égarée du chignon, et le voilà en plein émoi, se tendant à l’envie, ruisselant de désir, se donnant sans compter et sans songer le moins du monde à résister. Il se délectait de peaux, de chairs tièdes, humides, qu’il voulait embrasser avec volupté, il plongeait ses doigts dans les toisons les plus soyeuses et se gorgeait de nectar. Sa réputation le précédait au point que sa garde rapprochée tenait comptabilité de ses exploits. Il était même d’assez bon ton, pour ses conquêtes, de déclarer qu’un gilet appartenant à monsieur Vincent, une chemise, un caleçon ou un pantalon avait était oublié entre ses draps. Et d’entendre les malicieuses commenter : « ah, vous aussi ! ».

Chaque matin était un lent-demain pour Madeleine, qui se rendait à la boutique de la rue Blanche, non loin de la garçonnière de monsieur Vincent. Encore toute à sa nuit, dans une démarche lascive, elle fredonnait en glissant ses boucles rebelles sous son petit foulard. D’humeur radieuse même à l’aube, elle prenait ses aises, ainsi que le panier de linge qui occuperait sa journée. Dans l’arrière boutique, le linge séchait sur des fils tendus au plafond, des chemises, des draps, des bas, qui portaient en eux la vie des gens. Un simple panier contenait toute une vie ; coton, soie, lin, popeline, mousseline, taffetas, chaque pièce de tissu gardait l’empreinte de son occupant, sa deuxième peau, celle de l’être qui s’en couvrait le corps, qui respirait dedans, qui vivait dedans, qui l’épousait en somme.

Magda, la patronne, une exilée moldave à la voix grave et à la stature « mobilière », distribuait les paniers à chacune de ses lingères, puis mettait à chauffer les fers. La chaleur montait rapidement dans l’arrière boutique, imposant à toutes une tenue légère, gorge et bras nus. Sous les draps étendus, les chemises, les caleçons, chaque repasseuse prenait un panier puis allait s’installer à sa planche. La devanture ouvrait sur la rue par une large vitrine, qui permettait, en levant le nez de son ouvrage, d’apercevoir les passants.

Depuis les quelques semaines où elle était arrivée à la blanchisserie, Madeleine avait passé en revue plusieurs vies. Un jour, le panier de bas, de corsets, de guêpières de madame Sophie. Un autre, le panier de brassières, de culottes, de chasubles de la famille Poncet avec leurs sept enfants, donc deux recueillis chez un frère mort par noyade avec sa femme. Une autre fois, c’était le panier de la vieille Berthe, gris, rafistolé, éculé comme sa pauvre vie, à qui ont avait arraché trois fils et un mari en moins de deux ans. Ce dernier, mort de chagrin sur sa machine, avait été réanimé par secouage et eau glacée, mais il avait choisit de rester mort, définitivement.

Pour la troisième journée consécutive, Magda avait confié à Madeleine le panier au parfum de vétiver, reconnaissable entre tous, celui de monsieur Vincent. Du haut de ses dix neuf ans et nimbée d’une insolente fraîcheur, Madeleine n’y avait pas prêté attention. Sauf ce matin, le linge dans le panier ne la laissa pas indifférente. Elle se senti rosir en palpant les vêtements de cet homme indéniablement délicat, délicieux peut-être. Entre le parfum et le raffinement des habits, une certaine volupté émanait du panier. Madeleine était chatouillée en dedans. Elle brassait les étoffes, y plongeait son visage pour s’imprégner des effluves, sentait monter en elle une chaleur douce et aigüe à la fois. Imaginant la peau de monsieur dont le parfum irradiait, elle palpait les pièces de tissu, caressait du bout des doigts les initiales brodées sur les cols et sur les poches, devinant les deux V, les yeux fermés. Discrètement, elle glissa sous son sein gauche un mouchoir de soie, tout contre son cœur, pour fusionner les respirations, battre de concert.

Pour la première fois, elle senti brûler son petit intérieur. Sa respiration prit plus de place dans son corsage, sa poitrine se soulevait, des gouttes lui perlaient aux tempes et sur la lèvre supérieure. Des frissons glissaient le long de sa colonne vertébrale, de ses jambes, passant d’un membre à l’autre. Sa petite bouche d’en bas, lisse comme un chas d’aiguille, palpitait. Les petites lèvres duvetées, s’entrouvraient, inspiraient, appelaient. Madeleine se laissait caresser par les chemises, les camisoles, maillots, caleçons. Ses yeux de miel s’étaient embués. Elle plongeait la main dans le panier pour lisser les galons, les plastrons et les plis. Elle glissait son doigt dans les poches, les fentes, les pattes boutonnières. Son décolleté en pâtissait, et contre son cœur battait le mouchoir de monsieur. Se saisissant d’une chemise, elle en caressa les manches puis les enfila chacune leur tour sur une jeannette afin de les lisser au fer, chaudes comme une peau.

Madeleine ne vit pas que monsieur Vincent faisait les cent pas devant la vitrine, minaudant, jouant l’occupé à chercher son chemin, à inspecter un bord de trottoir, à consulter sa montre. Toute à son ouvrage, elle humectait d’un jet d’eau, défroissait, frissonnait devant le beau linge. Elle n’était pas dénuée de charme. Non pas que ses traits sortaient de l’ordinaire, mais le grain de peau juvénile et saumoné de Madeleine n’avait pas échappé au séducteur. Il était envoûté et succombait devant sa fraîcheur et son innocence. Tentant de se cacher derrière un lampadaire, il observait la jeune fille et son ballet de bras affuté autour de son linge, comme sur une peau. Il s’imaginait se glisser dans sa paume, puis parcourir cette gorge nue, y plonger son visage, ses lèvres et sa langue, pouvoir s’en délecter et en jouir, l’écouter se pâmer et rugir, comme seules se pâment les jeunes filles, pudiques et timides, hésitantes, si tactiles cependant. Monsieur V frissonnait. Madeleine venait de saisir son maillot de corps qu’elle malaxait entre ses doigts avec gourmandise. Sa peau palpitait, son pouls accélérait au creux de ses poignets. Le voir, le rencontrer, lui dire, comment ?

Madeleine, comme toutes les lingères, portait un caraco sans manche qui laissait voir sa gorge pleine, palpitante, ses bras graciles au fin duvet châtain, le pli duveté sous ses aisselles à chaque fois qu’elle s’épongeait le front d’un revers de poignet ou bien qu’elle s’étirait le bras pour délasser son épaule droite endolorie.

Monsieur n’en ratait pas une miette, contemplant ce fruit à peine mûr, à peine sorti de sa gangue, peut-être jamais effeuillé. Il la sentait battre en lui, palpiter sous sa peau, sur son sein, dans son ventre et en son antre. Il se sentait défaillir en l’observant, ondulante devant la planche, avec ses larges amplitudes de bras, dansant autour de son linge. Elle tressaillait en lui, tiède, moite. Ses mains en tremblaient sur sa canne. Depuis qu’il l’avait aperçue, il s’était appliqué à apporter du linge chaque jour, espérant que celui-ci serait confié à la nouvelle jeune fille. Il froissait volontairement ses vêtements, les piétinait au sol, les traînaient par terre, pour les apporter à nouveau chaque matin à la blanchisserie. Et le soir, lorsqu’il le récupérait, il emportait avec lui une part de Madeleine, imprégnée dans ses fibres, son grain de peau saupoudré dans son linge, ses fluides mêlés aux siens.

Madeleine souleva le gilet brodé, le tendit devant elle en le tenant par les épaules, inspecta les devant avec le gousset, puis le dos et sa martingale. Elle en inspira les effluves, le posa sur sa planche le recouvrant d’une pattemouille. Le fer glissa sur le textile chaud, elle le caressait. Ses clavicules se creusaient puis se remplissaient. Elle attrapa un drap, tellement froissé qu’elle imagina la nuit agitée de monsieur, de tous ces plis de soie qui avaient accueilli songes et rêves, il y avait frémi et salivé, ses jambes, le bas de son ventre planté dans le matelas, ses bras empoignant l’édredon que Madeleine finit par envier. Il faisait si froid dehors, depuis le poste d’observation de monsieur. Il frissonnait. Madeleine transpirait, son ventre, ses reins, transpiraient, chatouillaient, ses cuisses se frottaient l’une l’autre discrètement sous sa jupe. Elle voulait le réchauffer, l’enrouler avec elle dans se drap froissé et se perdre dans les plis, l’avaler.

Toujours plus profond dans le panier, dans un émoi croissant, de plus en plus rouge, de plus en plus désirante, Madeleine passait d’une jambe sur l’autre en frottant ses cuisses. Ses seins, soudainement remplis à pleine peau, à pleine chair, étaient devenus lourds et tressaillaient sous le corsage. Madeleine osa à peine regarder les caleçons, tant émouvant était ce linge de corps, si intime.

Elle devinait la nudité de monsieur V à travers sa peau, ses plis qu’elle caressait et repassait les yeux fermés. Tout son corps palpitait, le duvet de ses bras et de ses cuisses s’était hérissé, son triangle de boucles claires était un tison que seul un autre tison eut pu éteindre. Ses douves ourlées, saupoudrées de moiteur, tièdes, offertes en corolle, comme des boutons de rose, saumonés en dedans, qui éclosent dans la chaleur d’une main. Un feu lancinant la consumait depuis l’aube, envers un homme qu’elle n’avait pas eu l’opportunité de rencontrer, celui-là même qui repose sous son sein par mouchoir interposé.

Plongeant la main une nouvelle fois dans le panier, elle senti sous ses doigts, dissimulé entre les dernières pièces de linge, un feuillet plié en quatre. Délicatement, en prenant une profonde respiration, elle ouvrit la page sur un poème, renfermant une anémone séchée.

Poème à Madeleine

Flotte, flotte, culotte rigolote

Vole au vent, sèche à la bise,

Pendant qu’égoutte ta chemise

Des rêves fous me paralysent

 

Camisole d’opale,

Froissement de taffetas,

Que de la soie pour les bas !

Voyant ces voiles, mon cœur se pâme.

 

Genoux à terre, je grelotte,

Et crains que de moi, on ne rit,

Mais, aucun songe, ne renie,

Mes lèvres baisent votre menotte.

A la suite de ces ébats légers, le corps de Madeleine ressentit un ressac, une vague qui lèche et lime à sa cadence, attaque puis se rétracte, les battements du pouls et des paupières, les flots de sang dans le cou et dans l’aine, qui font onduler les hanches et les reins. Pétrie de désir, Madeleine regardait le panier de linge enduit d’amour. Monsieur V l’observait de plus loin, la désirant tout autant. Ils étaient à présent à la merci l’un de l’autre. Comment se joindre ?

S’offrir, s’ouvrir, se prendre et se donner, mêler leurs sucs et leurs fluides, fusionner leurs peaux puis jouir enfin, sans fin, l’un de l’autre. Madeleine voulait le sentir sur elle, l’envahissant, l’inondant de son amour. Monsieur V était perdu dans le désir absolu de cette ingénue qui en fait embaumait son âme aigre, le ressuscitait.

Madeleine conserva le mouchoir aux deux V sur son cœur. Puis, afin de répondre au poème, elle glissa dans la pile de linge repassé, un de ses propres mouchoirs en dentelle, brodé du M de Madeleine. Ce M qui ressemblait en fait à deux V à l’envers, comme si le M et les deux V étaient naturellement faits pour s’emboîter, à la façon d’un Ying et d’un Yang.

Magda n’était pas dupe. Elle en avait tant connu dans sa vie qu’aucun détail ne lui échappait. De sa voix de stentor ponctuée par son accent à la hache, elle lança :

– Oh lui, il est amoureux.

– Ah bon, mais pourquoi dites-vous cela? rétorqua Madeleine

– Tu en connais beaucoup, toi, des hommes qui passent des journées entières figées devant une blanchisserie ?

Et toutes les repasseuses de venir en s’esclaffant devant la vitrine afin d’apercevoir Monsieur V. Mais celui-ci s’était déjà éclipsé dans la venelle voisine.

Madeleine, en pleine confusion, reprit un feu de joues, puis réajusta ses boucles humides sous son fichu, qui avait fini par glisser dans son cou devant tant de chahut et d’émotion. Il fallait à tout prix qu’elle se redonne une contenance.

Il faisait sombre à présent. La nuit descendait franchement au dehors, sans concession. Les lampadaires étaient allumés, ils rayonnaient sur le trottoir. Les repasseuses avaient terminé leur panier du jour et commençaient à se rhabiller, à couvrir leurs bras et leur gorges, s’apprêtant à rentrer chez elles.

En connivence avec Madeleine, comme si l’une pensait pour l’autre, Magda invita la jeune fille à se rendre au domicile de monsieur V afin de lui rapporter son beau linge. Madeleine balbutia une inintelligible réponse, que personne ne fit répéter. Elle enfila son manteau, puis emporta le panier à l’adresse indiquée.

Magda, fine mouche, ne s’attendait à aucun revers de bâton !

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6 commentaires »

  1. anne dit :

    bravo Isa pour cette jolie nouvelle originale qui mérite sans aucun doute de se retrouver sur le podium! j’ai pris beaucoup de plaisir à la lire!

  2. Isabelle dit :

    Merci pour ton retour chère Anne.
    Trop sympa de te savoir là, fidèle lectrice.
    J’espère que vous allez tous Bien.
    Je t’embrasse et espère te revoir bientôt
    Bises
    isa

  3. Sophie Kerdellant dit :

    Un petit délice cette nouvelle Isa !
    Bises

  4. Isabelle dit :

    Merci Sophie.
    Bises

  5. JACQUES Camille dit :

    A te lire j’ai souri
    Très joli texte
    Bravo
    Bises
    Camille de Kano

  6. Isabelle dit :

    Quel plaisir de te lire chère Camille. Il y a si longtemps. J’espère que tu vas bien.
    Une partie de notre vie commune se trouve dans mon dernier roman : « Une vie blanche et noire ». C’est un roman, mais tu y retrouveras certains souvenirs de notre vie à Kano. Tu peux le commander sur mon site ou en librairie (aux éditions Maïa)…Bises
    https://desmotsentrenous.com/product/une-vie-noire-et-blanche-correspondance-dune-afmille-en-afrique/?fbclid=IwAR2fNH1L0_Yt4A00sCJY8reoaCLWWQhwRBeNtT6a_dBpdG-v7hbXzdNchQs

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