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Ukraine 2010 : « Des rails pour Odessa »

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novembre 8, 2012 par Isabelle

On aurait pu passer par Varsovie ou Cracovie.

C’était sans compter mon ami de trente ans, Gabriel. On l’appelait Shatzie lorsqu’il avait dix neuf ans et moi quinze. Une sorte de cousin pour la vie, une correspondance de vacances qui dura, frôlant la liaison amoureuse. Ouf, pas consommé. Comme une incontournable escale, ce Suisse-Allemand se trouve toujours sur mes routes de l’Est ; Essen, Cologne, Bonn, et Berlin désormais, puisqu’il suit le Bundesrat et Angela Merkel.

Alors, on a pris par Berlin.

Le Paris – Berlin, train de nuit est bien rempli, mais pas autant qu’on le prévoyait alors que tous les aéroports de l’Europe du Nord sont fermés à cause du nuage Islandais émanant du volcan : Eyjafjallajokull. Entre la crise financière et le nuage, ce pays microscopique, perdu en mer du Nord n’avait pas autant fait parler de lui depuis l’avènement de Björk.

Le contrôleur allemand, mal aimable, haut de deux mètres, a la tête qui frôle le plafond. Son arcade sourcilière extravertie fait de l’ombre sur ses yeux bleus.

La nuit est bercée par le roulis du train. Gildas, dans son duvet en drap blanc, avec son oreiller bien propre et sa couverture, trouve qu’on est bien « mousseux » dans nos nids superposés.

Une famille de Hanovre se lave avec application avant de dormir, se change, et se relave le matin avec la même application.

Nous, nous dormons en vrac, lavés à la lingette.

Dans un autre compartiment, il y a la grise, avec ses pieds à dix heures dix, comme une ancienne danseuse, petite femme qui avait du être jolie, et qui était devenue : grise. Sa très jolie jeune fille semblait la réconforter avec bienveillance.

Arrivée en gare de Berlin le matin

Gabriel nous attend sur le quai. Nous laissons les bagages au sous-sol P-3 de la nouvelle gare centrale, marchons jusqu’au bâtiment du gouvernement, puis déjeunons dans un des nombreux parcs de la capitale allemande, et marchons ensuite jusqu’à la porte de Brandebourg.

 

De là, nous quittons l’ancien Berlin Ouest pour entrer dans l’ancien Berlin Est. En remontant l’avenue « Unter den Linden », passons l’université, l’opéra, le chantier du Château qui sortira bientôt de terre, château partiellement détruit par les bombardements de 1945, puis mis à terre définitivement par le régime communiste de l’Allemagne de l’Est.

Sur le côté, passe la Sprée, devant nous le Temple protestant de Guillaume II monumental, avec la nécropole des rois et empereurs allemands. Les luthériens y ont accueilli les huguenots chassés de France, fuyant les massacres perpétrés contre eux.

Sur l’île qui se trouve entre les bras de la Sprée, les cinq fameux musées nationaux : Pergame que nous visiterons à notre retour. Nous traversons à nouveau « Unter den Linden » en direction Frederick strasse pour une « choucroute, saucisses, purée » dans un restaurant Bavarois. Puis courons vers la gare risquant de rater notre train.

Gare de Berlin, fin d’après midi.                                   

Sur le quai, les contrôleurs et les cheminots fument et attendant la vieille loco polonaise, rouge, hors d’âge mais pas d’usage, qui s’accroche lentement à un Schlaft wagen, wagon couchettes, carrozza con letti, qui nous transportera jusqu’en Ukraine.

Après un départ dans les temps, le train prend tout son temps. Le train couchettes a des compartiments à trois lits, train datant de 1962, on ne peut en douter.

Le long tapis du couloir est vert avec des motifs beige et marron. Une ridicule guirlande en plastique imitant une vigne vierge court en hauteur. Chaque cabine est équipée d’un lavabo terni dont les robinets sont grippés. La vasque, qui semble ne plus fonctionner depuis 30 ans, est recouverte d’un rabat en mélaminé, cerclé d’une ganse métallique.

A notre demande, le contrôleur actionne une prise de courant en 220 volt qui permet de recharger le Mac book et les portables. Aucune possibilité de sortir de notre wagon. D’un côté la vieille loco rouge. De l’autre côté, un autre wagon non accessible.

Wagon restaurant ? In our dreams. Heureusement, Gabriel nous a acheté des provisions dans la gare.

Un allemand de Hambourg, un Ukrainien de Kiev, tous en train faute d’avion. Nous pas, c’est un choix délibéré, pour prendre la mesure du voyage, pour apprécier les vertus de la lenteur.

Nous roulons doucement et nous arrêtons. Frankfort, je comprends trois minutes d’arrêt, mais c’est plutôt trente minutes d’arrêt.

Il fait chaud. Tout le monde descend. Les voyageurs sont déjà en tenue de nuit, caleçon, pantoufles.

Le contrôleur nous apporte trois thés dans des verres avec habillage en métal ciselé, et une élégante poignée.

Le soleil tape sur les vitres et la chaleur monte. Les paysages d’Allemagne et de Pologne sont les mêmes depuis la vitre du train, tellement usée que l’on croirait du verre dépoli. Elles ne s’ouvrent qu’avec une clé que le contrôleur refuse d’actionner.

Pologne maudite, dans les villes, une majorité de voitures épuisées et des barres d’immeubles grises.

Des magazines Ukrainiens sont exposés dans des présentoirs face à la porte de notre cabine et les personnages en couverture me regardent au-dessus des grosses lettres en alphabet cyrillique.  Le visage blond de la femme est solidement planté, maquillé, bijouté, sourit de façon intrigante. L’homme à moustache porte des lunettes datées des années cinquante. Les magazines semblent avoir été placés là en 1962, date de mise en fonction du wagon.

Certains voyageurs sont désormais torse nus.

Ils se mettent à l’aise, jusqu’où iront-ils ?

Les bruns aux yeux bleus semblent sortir tout droit du film « les promesses de l’ombre ».

« Cusade du cabinet interdit » est inscrit sur la porte des toilettes. Une traduction très approximative en français d’une phrase que l’on ne comprendra pas.

Le contrôleur distribue à chacun un set de voyage comprenant un drap de dessous et un drap de dessus, un essuie mains en coton blanc, une petite serviette de toilette à rayures multicolores, un paquet de Kleenex, des serviettes en papier emballée et deux lingettes rafraîchissantes, le tout empaqueté sous vide. Pour chaque couchette, un matelas mince recouvert d’un tissu à motif panthère est à dérouler. Le train est vieux de partout, les lavabos ne fonctionnent plus certaines attaches de couchettes ont disparu, les sols sont abimés. Pourtant, on peut recharger son ordi et son portable sur la prise 220 du compartiment.

Derrière la vitre, l’Ukraine en avril à l’allure de l’Est, prévisible, comme la Pologne.

Le jour se lève sur la campagne laiteuse, grise de ne pas être sortie de l’hiver, pas encore verte du printemps. Des forêts de bouleaux ébouriffés, petits arbres au tronc gris et fins mal rangés sur la plaine, défilent de l’autre côté de la vitre. Le train entre dans la pluie et la vitre du compartiment est biffée par les gouttes d’eau.

Gildas s’organise et prend ses devoirs. Zeph met en route l’Hasseblad et charge des films.

Un Ukrainien, commercial en centrifugeuses et parlant anglais servira d’interprète.

Dans la nuit, nous avons passé Varsovie, dire Warsawa, puis traversons la Pologne.

Pectopah, le 20 avril, le vingtième arrêt depuis Berlin. 

Trente sept arrêts entre Berlin et Odessa. Il est huit heures trente du matin. La radio du train diffuse un programme de chansons Ukrainiennes qui rappellent curieusement de la variété italienne. Car nous sommes passés en Ukraine.

Il faisait encore nuit lorsque les douaniers polonais ont demandé à voir nos passeports. Le train a encore roulé, combien de temps, assez peu. Puis la police Ukrainienne a pris nos passeports. Nous avons rempli des papiers, ils ont gardé les passeports et nous nous sommes rendormis.

Le jour se lève. La nature a une semaine de retard par rapport à chez nous. Beaucoup d’arbres sont encore en branches et les fruitiers n’ont qu’une petite boule blanche au bout des doigts. Pas une fleur n’est éclose.

On croyait que Pectopah était le nom d’une ville, écrit en grosses lettres sur le fronton des gares. Mais cela veut dire restaurant.

La locomotive change encore. Nous avons sans doute troqué la vieille polonaise contre une vieille Ukrainienne. Dans le couloir du train, la vie a commencé très tôt. Déjà dans la nuit, les fréquents arrêts sont source d’allers et venue. Les douaniers ont fait le reste. Les voyageurs ne sont plus tout à fait les mêmes. Dans certains compartiments, la population a transité. Des odeurs de nourriture montent dans le couloir. Des femmes rigolent au loin.

Un coq chante, quelques cultures, des maisons à deux étages, carrées sans véritable style, honorables, respectables.

L’Ukraine est rurale. La voie ferrée longe campagnes et villages aux petites maisons aux toits pointus. Quelques paraboles agrémentent les façades. Des dômes d’églises surgissent au centre des villages.

« Rowenskaya », l’une des quatre centrales nucléaires d’Ukraine, Tchernobyl étant fermée, dresse ses chapiteaux le long de la voie.

Sur le quai d’une gare proprette, un jeune homme dort d’ivresse sur un banc. Des paysans travaillent dans leur champ, autour des fermes où caquettent des poules. Chaque maison semble disposer d’un potager. La saison est à la préparation des jardins. Les parcelles sont noires de fumier frais et laissent présager de la prochaine poussée de choux, de betteraves, de pommes de terre et de carottes.

Dans certaines gares, des wagons rouillés semblent entreposés depuis des lustres, en attente, des wagons citerne, des wagons pour le transport du charbon, une belle locomotive chasse-neige avec sa large mâchoire tranchante. Des grues, des taules rouillées, des appareils de levage, des cabanons en briques.

L’homme du train, bien alcoolisé hier soir, apporte nos trois thés.

Karol et Léopoldine nous envoient des textos, parfaitement reçus ainsi que les appels.

CAPHN, en alphabet cyrillique.

Des vélos sont attachés le long des grilles. Les femmes portent des foulards sur la tête et conservent leur manteau d’hiver. Le ciel est blanc, les jeunes filles blondes ont les joues rouges de froid et les hommes le menton carré, taillé à la serpe.

Un autre thé nous est servi. Zeph est en place dans le couloir, avec son flash et son Ukrainien de Kiev.

Dehors, un village de maisons et de palissades en rondins de bois strient la campagne.

Une autre petite gare. La locomotive est à nouveau remplacée. Un interminable train de marchandise longe le notre. Nous arpentons le quai histoire de se dégourdir les jambes et tous les voyageurs en font autant, allumant des cigarettes. Une longue jeune fille rousse en survêtement attaque le pavé d’un pas sportif. Un couple promène son chien qui s’ébroue. Les gens traversent les voies. Des femmes passent le long des wagons pour vendre des poissons fumés et des piroshkis. Sur le quai d’en face, trois dames âgées, en foulard, attendent un autre train. Des contrôleurs, des hommes en chapeau, des enfants qui courent.

L’énorme locomotive bleue qui tracte notre train depuis la précédente gare, traverse de nouvelles forêts de bouleaux, qui se succèdent depuis le lever du jour, depuis notre entrée en Ukraine.

De blanc, le ciel est devenu humide, puis clair. Le voici gris. 

Kiev, 17H04.

Il fait plutôt frais et humide. Ville grise et haute en immeubles. La gare est divisée en 14 quais. Notre wagon se vide à 80%. La plus part des voyageurs faisait le trajet Berlin – Kiev. Seuls l’Allemand de deux mètres et notre trio français continuent vers Odessa. Zeph part avec un Ukrainien au Mac Do du coin faire quelques provisions. Le train n’est toujours pas agrémenté de wagon restaurant.

Pendant ce temps, nouveau changement de locomotive et petit pas chassé du train. On avance, on recule, on glisse d’un rail à l’autre, trois petits tours et on accoste à un nouveau quai. Entrechats, pas chassés, saut de biches et grands jetés entre les rails. Les passagers pour Odessa montent en voiture. Et les trains sont lents, mais parfaitement ponctuels.

Odessa, prononcer Odiessa, voire Adiessa, 05H41 du matin.

Il fait à peine jour. Notre niveau de propreté : relatif !

Sous la coupole centrale de la somptueuse gare jaune et blanche, les panneaux électroniques annoncent les trains en cyrillique et en lettres latines. Un Ukrainien charpenté porte nos bagages du quai à son taxi.

Catherine II voulait une « St Petersburg » sur le bord de la mer noire. Elle fit ériger la ville au XVIIIe siècle, à l’époque où l’Ukraine avait été annexée par la Russie. L’architecture d’Odessa oscille entre les styles français et italiens des architectes conviés par Catherine II pour la bâtir, et les séquelles du communisme encore tout frais.

Les bâtiments à trois étages, ressemblent à de grands hôtels particuliers ou petits palais qui ont de commun avec ceux de Venise, une lèpre sur les façades.

Un charme désuet d’un autre temps, des façades porteuses d’histoire, parfois restaurées, parfois délabrées, toujours baroques. Les rues sont larges et arborées, les trottoirs propres et conviviaux. Catherine II les voulait ainsi parce que la population internationale de cette ville ne parlait pas la même langue et devait pouvoir s’exprimer avec les mains et les pieds.

A cette heure, nombre de balayeuses (et quelques balayeurs) ramassent les mégots. Tout est propre.

Notre hôtel, Tsentralnaya, donne sur un petit parc coiffé d’une grosse église à dôme. Au bout d’un large couloir, se trouve notre large chambre, une twin avec une petite pièce accolée meublée d’un canapé lit et une grande salle de douche. Tout y est, shampoing, savon, chaussons, shower caps. Wi-Fi dans l’hôtel, bureau de change et distributeur dans l’entrée, coiffeur, agence de voyage. Que dire! Et ils sont très accueillants.

Après une pause pour se laver et se réchauffer, déambulations urbaines dans cette élégante ville. Nous arpentons les rues jusqu’à l’Opéra, l’escalier Potemkine, le port. Il pleut et la fatigue d’un lever à quatre trente du matin se fait particulièrement ressentir.

Je laisse les garçons qui attendent la photo.          

Nous avons retrouvé Gildas en pleurs lorsque nous sommes allés faire les courses. Il faisait nuit, et tous fatigués, nous voulons dîner dans la chambre. Zeph et moi partons en quête de supermarché. Alors, on cherche, on choisi, on se trompe, on change, on rentre. Et notre Gildas pleure dans le couloir. Il guettait tout le monde, descendait par le grand escalier voir les gens qui arrivaient, avait prévu de voir la dame de l’accueil pour lui dire que l’on était pas rentrés. Un film ! Il avait tout prévu et pleurait comme une fontaine. A peine dîné, il s’est endormi dans nos bras.

Une nuit réparatrice a ouvert sur une journée de soleil. Cela va changer le rythme et la température, et les couleurs d’Odessa, l’ambiance de la ville quoi.

Odessa fait son printemps. Les arbres se déploient, les façades colorées se réchauffent. Le marché quotidien ouvert dans le parc en face de l’hôtel s’est ouvert sous le soleil alors qu’il était fermé hier sous la pluie. Babouchka en bois, peintes de mille couleurs, flash à vodka, tartines de caviar en magnettes, boîtes à musique romantiques se jouxtent sur les étals.

Un montreur d’aigle propose que l’on se fasse photographier avec l’oiseau majestueux, des joueurs d’échecs ou de dominos ici, les peintres plus loin. La vie reprend.

Dans l’hôtel, il y a du personnel partout, des femmes de ménages en tablier uniforme, qui nettoient en regardant ailleurs, et leur responsable au bureau, au fond d’un couloir de plus de cinquante mètres de long. Des gens, parfois inactifs, mais présents, surveillent, souvenir d’un passé encore frais.

Les bus sont tous jaunes et vieux, et les tramways seulement vieux.

Les chiens dorment sur le flanc, les pattes tendues devant eux, comme des morts.

Des jeunes filles fument sous un porche en buvant de la bière.

Une armée de blondes, car elles sont presque toutes blondes avec leurs yeux bleus en amande, les pommettes hautes, de longues jambes perchées sur dix centimètres de talons aiguilles, en collant résille avec la jupe raz le slip, leur donnant des airs de catins. Vraies ou fausses, elles sont blondes, voire platine, donc totalement fausses finalement. Maquillées à l’éponge avec une épaisse couche de fond de teint, les rouges à lèvres accentuent un récent abus de botox.

Du jamais vu : certaines femmes plus mures ont les cheveux couleur betterave, couleur bortsch, (soupe de betteraves râpées avec carottes et travers de porc flottant, crème fraiche, persil et aneth). En vieillissant, elles deviennent rousses, et pour finir se couvrent la tête avec un foulard fleuri. Elles font leur roumaines ou leur moldaves, ou simplement leur baba. Donc pas de cheveux blancs à l’horizon.

Les femmes de ménages, comme les balayeuses, les jardinières, sont nombreuses et peu actives. Elles portent des blouses, des tabliers, des gilets de signalisation, le tout uniforme pour chacune des catégories.

Ils ont les yeux bleus également. Blonds ou bruns, soit le type brute de l’Est avec une épaisse arcade sourcilière et un menton anguleux, des épaules larges et des mains en battoir, soit avec des traits si fins qu’ils pourraient être dessinés au pinceau par des peintres vénitiens.

Dans les restaurants, service rapide et diligent, nourriture peu typée ou typée méditerranée/mer rouge avec des sushis partout. Propre agréable.

Sur les terrasses des cafés, des couvertures sont mises à disposition des clients. Ainsi, les gens s’installent dehors même s’il fait froid et s’enroulent dans des plaids pour consommer. Pas de radiateurs extérieurs pour chauffer la rue.

Petit phénomène local. Le tapis de sol de notre hôtel a été changé. Ainsi le centre des marches en marbre qui nous guidait sur les trois étages est passé de vert et aplati, à rouge et épais. Notable pour la couleur de la cage d’escalier qui prend davantage de noblesse.

Deux phénomènes émotionnels.

La folle qui court en nous montrant ses fesses.

Le monsieur dont les jambes ont été raccourcies sous le genoux.

Ce soir, à 19 h, La Bayadère à l’Opéra d’Odessa   Logés aux meilleures places (150 grivnas chacun = 15 euros)

Opéra rutilent qui n’a pas grand-chose à envier à celui de Paris. Entièrement restauré et doré, il brille de mille feux. La fosse d’orchestre et le corps de ballet sont à la hauteur.

Ce matin de samedi, une cohorte « d’immondes meringues » posent devant chaque pan de mur, chaque lampadaire, chaque alcôve de l’Opéra. Un embouteillage de limousines, avec des rubans et des fleurs en plastiques, des ballons de baudruches et des mariés aux pantalons trop courts, qui laissent voir la chaussette blanche. Epaules nues, dans le vent frais, elles tournent, posent marchent devant caméras et appareils photos. Les couples viennent signer un contrat sous les cris de joie des familles. Volants, tulles, voiles et bouquets de fleurs rivalisent de choucroute et de crème chantilly. Les témoins et demoiselles d’honneur donnent dans le talon aiguille et le raz la touffe. Les seins aussi se déploient dans les décolletés. Certains dos sont entièrement nus. Elles ont les cheveux montés à la Catherine II de Russie ou comme des têtes de gorgones, avec des serpents enroulés qui dégoulinent et rebondissent à chaque pas.

Le centre ville fait penser à une architecture viennoise, les extérieurs à une ville italienne. Chaque maison est peinte de couleur différente. Qui en jaune ; la majorité, qui en vert amende, en bleu ciel, en rose ou en gris bleu, toujours pastel. Et toutes les fenêtres, hautes, sont entourées de colonnes, de frontons, de chapiteaux, d’entrelacs, de motifs en stuc blanc. En débord des façades, des balcons en fer forgé ou en pierres, couverts ou non, des alcôves à colonnes. Des vignes partent du trottoir et sont accrochées jusqu’au premier et deuxième étage. Que des troncs à la saison où nous sommes, mais de belles tonnelles en perspectives pour l’été. Les trottoirs, larges de dix mètres, sont scindés en deux par un parterre d’arbres centenaires, platanes. Les façades sont collées les unes à côté des autres. Un ou plusieurs porches en dessous ouvrent sur des cours intérieures arborées. Le tout donne un ensemble spacieux où il fait bon se promener.

Deux catégories d’erreurs dans cet urbanisme bien unifié, à angles droits :

– quelques bâtiments gris restant de la période rouge.

– trois loupés en centre ville avec des façades en verre datant…de notre période contemporaine.

Le reste est une ville ancienne, plus ou moins restaurée selon les quartiers, mais pas d’immeubles pour saccager cette ambiance provinciale et balnéaire.

Certains quartiers portent les stigmates de la pauvreté. Des voitures recouvertes par les chatons des arbres, dont les pneus sont dégonflés depuis des années, dorment sur les gentes. Un jeune couple, cigarette à la main, âgé de vingt an tout au plus, pousse devant lui une poussette et un ventre d’au moins huit mois de grossesse.

Puis il y a la ville d’en bas, celle qui longe le port.

Les bâtiments, de même facture, sont fermés et abandonnés depuis longtemps malgré les tulipes et les narcisses qui sortent des parterres, qui font leur printemps et offrent leurs fleurs coûte que coûte.

Un boulevard infranchissable longe le port et coupe cette partie basse de tout accès piéton. Seuls quelques bâtiments administratifs semblent tirer leur épingle du jeu.

Pour ré-accéder à la partie haute, il y a l’escalier Potemkine, ou bien d’autres escaliers bancals traversant un parc pentu qui aurait pu être agréable sans les cannettes de bières vides, les strings hors d’usages, les papiers gras et les ivrognes.

Sur la promenade en haut, les jardinières portent des blouses de même couleur et un fichu sur la tête, souvenir communiste. Elles tondent, ramassent, balayent. Les mariées défilent, les marins embrassent leurs marinettes sur les bancs publics et les calèches attendent.

Hier soir, la coiffeuse m’a fait shampoing brushing façon pin parasol. C’est mieux ce matin, comme toujours.

Dimanche matin, grand carillon à l’église devant chez nous.

Gildas fait trois parties d’échecs avec un vieux devant la fontaine. Il l’a mis en difficulté sur la deuxième.

Je décide d’aller boire le thé dans les cafés d’Odessa pour pouvoir écrire. Assise à la terrasse du PECTOPAH, devant l’escalier Potemkine, on me sert un Earl Grey sucré plein de bergamote, suivit d’un börsch avec du pain.

Installée avec mon ordinateur, toujours à la même place, je me caille face à mon escalier. Le ciel est super bleu et la mer pareille. Mon café est un ancien palais refait façon kitch. Comme il est exposé au Nord, on se gèle sur la terrasse où je m’installe quotidiennement. Gildas fait ses devoirs et Zeph descend les marches avec son boîtier.

J’ai envie d’un autre börsch.

Sébastopol,                                                        

70% de russes, militaires ou fonctionnaires, installés du temps où il fallait surveiller la flotte soviétique stationnée dans la baie. Quelques sous-marins rouillés dépassent à mi-hauteur. Les marins traînent entre les escaliers et les rues en pente.

Les marches des quais de Sébastopol servent de plage.  

Chez les êtres humains, il y a une certaine égalité dans la vieillesse. Riches et pauvres se baignent entre les rochers et la colonne portant l’aigle de la ville. Grosses ou difformes, les femmes ont toutes été belles en leur temps, amoureuses, sensuelles, chavirant le cœur des hommes. A présent dans leur grande culotte, avec des charlottes multicolores sur la tête, elles flottent comme des bouchons de pêche.

Yalta a perdu de sa superbe.

Les Datchas des hauts fonctionnaires soviétiques autrefois, et russes aujourd’hui, se trouvent en contrebas sur la route de Yalta, à l’abri des regards. La côte Turque n’est qu’à 260 km de ce point, le plus au Sud de l’Ukraine.

A Yalta, les prix et l’immobilier ont pris le pas sur la grande beauté géologique du site. Hummers et boutiques de luxe donnent à la ville des allures de repère mafieux.

Acheter du caviar rouge du Kamtchatka, daté de l’automne, saison ou les esturgeons sont gras et pleins de vie. Choisir la production de septembre, octobre ou novembre, estampillé sur la boîte. Sinon, il est possible que ce soit du caviar congelé puis décongelé.

Dernière journée dans le parc au-dessus du port d’Odessa et des containers multicolores, le ballet de camions qui partent avec leur chargement, le monstrueux porte container en train de charger sa cargaison.

Super dîner dans le resto le plus près de l’hôtel avec un serveur beau et charmant qui renverse les bouteilles, genre mains de beurre mais avec le visage d’Edouard Queulen.

Il aura un super pourboire, il fait des efforts en anglais et en français.

Taxi jusqu’à la magnifique gare d’Odessa, entièrement refaite dans un bâtiment très ancien. Grande entrée bien éclairée, larges quais et vieux trains, du moins le notre qui fait plus de vingt wagons, et qui paraît être le plus vieux, mais qui ira sans doute le plus loin : Berlin.

D’autres wagons sont ajoutés, détournés, retirés, accrochés, durant la nuit.

La loco fait dix mètres de haut, c’est une petite usine roulante avec plusieurs personnes dedans.

Pas d’électricité dans notre train au départ et des toilettes défaillantes. Tout sera réparé dans la nuit. Nous dormons directement, ballotés par moments, secoués par les accrochages à la sauvage. Nous traversons l’Ukraine de nuit et arrivons à Kiev le matin. L’Ukraine a pris le temps de fleurir pendant nos semaines de vacances. Elle est verte avec des fleurs partout. Nous traversons des gares ensoleillées à larges quais.

Traversée de la plaine Ukrainienne. Maintenant dernier Wagon. Par le hublot, deux rails s’éloignent et serpentent derrière nous, sages et réguliers, comme les empreintes métalliques d’une limace.

Deux jeunes filles se font arrêter à la frontière polonaise pour trafic de cigarettes. Il y en avait au moins 4 grands sacs poubelle, cachés dans les caissons de leur compartiment.

Gildas ressemble à une marmotte dans sa bannette.

Portraits Ukraine Jean-Marie Cras : http://www.jeanmariecras.com/

 


4 commentaires »

  1. aude vercier dit :

    quel régal ! écriture subtile, paysages et atmosphères attachantes. J’ai rit, sourit au fil du récit…Que d’images ! merci isabelle, j’ai dévoré ce carnet de voyage.

  2. isa p dit :

    Merci de m avoir donné accès à ces mots qui m ont plu parce qu ils disent aussi une partie de toi qui m était jusqu alors inconnue.bises

  3. Sylvain dit :

    c’est vrai que c’est trés agréable à lire, merci, un beau voyage. J aime beaucoup les déscriptions des femmes.
    « le raz la touffe. Les seins aussi se déploient dans les décolletés »
    « en collant résille avec la jupe raz le slip, leur donnant des airs de catins. Vraies ou fausses, elles sont blondes, voire platine, donc totalement fausses finalement. Maquillées à l’éponge »

  4. Reinhold dit :

    Bonjour Isabelle,

    quel merveilleux univers que tu nous fais découvrir avec tes déscritptions du quotidien des voyageurs. Depuis que mon ami Sylvain m’a découvert ton site j’y voyage toujours quand mon emploie du temps me le permet… et c’est malheureusement pas trop souvent le cas. Ton domain est enregistré parmi mes favoris. La subtilité de tes images parfois avec une aimable ironie prouvent d’une observation delicat – toujours bienveillant – d’un voyageur expérimenté. Cette prose vaut d’être lu par une plus grande public!!
    Felicitations
    Reinhold

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