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Feuille de route Tenna, Canton des Grisons, Suisse Allemande.

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mars 1, 2016 par Isabelle

Le 29/02 : Anthropologie ligne 13/14.

Le métro c’est génial ! 9h16 du matin, l’heure de pointe est passée, mais il y a tout de même un peu de monde. Surtout des femmes. Soit il y en a plus qui bossent, plus qui bossent plus tard, ou bien elles sont démographiquement en surnuméraire. Ascenseur station Les Agnettes, un vieil arabe, non barbu, au col élimé, au regard doux, me laisse passer dans l’ascenseur. Cheveux courts grisonnants, il est coiffé d’un galure en faux astrakan. Son long manteau de feutre est élimé aux manches et il marche sur des jambes arquées, appuyé sur sa canne. A l’échangeur qui mène vers la ligne 14, je me trouve dépitée avec ma lourde valise face à un escalier d’au moins 80 marches. Je prends ma respiration lorsque ma valise s’élève toute seule, dans la main d’un homme serviable, au cou puissant et aux épaules larges, un Camerounais, un Congolais. Il n’a même pas ralenti pour s’en saisir. Je le suis d’un pas rapide, hop hop, marche à marche. Il porte des lunettes noires et des écouteurs, presque un sapeur, et me regarde d’un air « t’inquiète pas poupée, je ne la sens presque pas cette valise ». Je remercie, il sourit sans un mot et trace sa route. Dans la 14, face à moi, une jeune asiatique très bridée me regarde furtivement. Elle, au moins, ne s’est pas fait agrandir les yeux. Vive le respect des origines ! Son teint lisse, très pâle et ses lèvres maquillées en toute petite bouche – sans atteindre les commissures – lui donne un air de Geisha. Elle doit être japonaise. Debout à côté d’elle, un homme dans lequel je vois un peu de Matt Damon, sans doute parce que les Oscars américains ont été attribués hier soir. « The Revenant » est partout sur les murs, et la course extrême de Leonardo – qui manque un peu de scenario tout de même. On est bien loin de la délicatesse esthétique dans « Les innocentes » avec ce sujet si particulier et ignoré.

Avec tout cela, on n’est pas rendu à Tenna !

TGV Lyria, Direction Zurich, puis Chur, puis Tenna.

La chose la mieux que l’on puisse faire à Zurich, c’est d’en sortir me semble-t-il ? Le train longe un lac qui je ne situe pas sur la carte, gris et brumeux comme le désespoir. Le ciel est si bas. Il pleut à Chur, mais dès que l’on monte, la pluie se transforme en neige. À travers les nuages, la route serpente. Tenna est à plus de 1654 m d’altitude. Il n’a pas cessé de neiger depuis hier, une petite neige fine dont on ne se méfie pas mais qui recouvre tout de 30 centimètre de poudreuse en fin du compte. Tout est lisse, blanc et propre. Sauf que je n’ai pas encore pu apercevoir le cirque majestueux qui nous surplombe, cette couronne minérale sertie de diamants, ce diadème de cristal tout empêtré dans les brumes stagnantes entre la vallée et le ciel.

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Tenna : une centaine d’habitants disent-ils ? J’ai dénombre 63 vaches aux oreilles poilues, 2 ânes et leur ânon et entendu un coq à l’aube. Une épicerie/poste/coiffeur. Première matinée à écrire la vie de Milton – très étonnant d’écrire à propos de l’île de Skye en Ecosse lorsque l’on se trouve à Tenna, en Suisse – et à nourrir le poêle maçonné, car il fait froid. Le chalet en bois n’est pas isolé, et derrière les parois de bois, il y a directement la neige. Mais ce n’est pas grave car à l’Alpenblick,, il y a un sauna, un bar de nuit, un chef français et des lasagnes au dîner…Et ça, c’est bon !

http://www.pension-alpenblick.ch/

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Tous à l’Alpenblick, Tenna !

Marche, 1h40 sur la piste de luge. Je ne croise ni marmotte, ni loutre, ni cougar. Seulement un natif coiffé d’un feutre vert sombre, affûté comme un cabri, qui me gratifie d’un incompréhensible «Gütt », auquel je réponds « bonjour ». Nous nous sommes compris. Les conifères ancestraux sont lents et silencieux comme de vieux ermites avec leurs barbes blanches. Ils constituent une haie d’honneur que j’ai envie de les saluer avec révérence. La neige pèse sur leurs branches, leur donnant des allures lasses. Ceux là ont échappé aux innombrables Noël qui les auraient transformés en porteurs de guirlandes avant de passer au broyeur. Un trou de lumière éclaire le flan de montagne sans m’en donner les cimes.

Tenna :

Une minuscule église de 1350 parfaitement entretenue avec ses fresques de 1504,

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Une école de 12 élèves.

Un lift solaire, le seul d’Europe, moi, je trouve cela poétique…

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L’énergie accumulée l’été est revendue. Le Suisse est précis, soigné, pragmatique. Il n’y a pas de mégot par terre, pas d’emballage de Snickers ou autre barre aux céréales. Tout est lisse et propre, et cher !

Une cloche de vache teinte au loin. Ça sent la ferme au détour des chemins.

Le 30 février, euh non, le 1 er mars….

Se lever avant l’aube histoire de la surprendre, histoire de devancer le coq, histoire de voir bleuir la montagne. Il a encore neigé cette nuit. Le coq est en forme, il a chanté plus de trente fois. A mon avis, là il ronfle !

Enfin, la voilà ce matin, cette corolle de sommets qui encercle le village et toute la vallée en contrebas. Quelques traces d’avalanches sur les hauteurs côté Sud.

Au nord, les vieux ermites barbus, entendez les sapins vertigineux, se tiennent en rang d’oignons et surveille leur vallée. La paix est avec eux, et avec nous aussi.

Le soleil éclaire toute la vallée à présent et réchauffe le chalet. Le bois ne cesse de craquer autour de moi, comme s’il se détendait ou s’étirait après un long hivernage. Le chalet d’en face grince en permanence. On croirait qu’il s’exprime. Ou bien son manteau neigeux est en train de se détacher.

Ici, on laisse les clés sur les voitures et les chalets ouverts. Alors, je suis entrée pour en visiter un, peinard. Les chalets fermiers réservent le rez-de-chaussée pour les vaches, ce qui permet d’assurer un chauffage naturel par le sol. Ça sent la vache dans tout le village. Le bœuf de Tenna est très fameux, très cher aussi.

En passant par Innerberg, on emprunte un chemin damé un peu plus haut qui permet de rejoindre les pistes et le lift solaire de l’autre côté du village. Chemin de dahus à la vue imprenable sur la vallée et la montagne d’en face.

En spécialité locale, je vous propose la soupe de foin, la soupe de gruau et la viande grisons, bien sûr. Je vous rassure, on retire le foin lorsque c’est cuit.

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2 mars : Il n’a pas cessé de neiger. Avant le lever du jour, tout paraît lisse, propre et silencieux. Même le coq ne s’est pas fait entendre. Il a chanté à 11H20. Où est donc passée la ponctualité Suisse?

La dameuse s’est activée aux premières lueurs car la route avait disparu. Puis, tout le monde sort sa pelle et dégage ses accès…

Direction Vals, charmant ville de montagne au centre pavé, aux chalets en bois, recouverts d’écailles de bois.

Les bains de Vals : http://www.myswitzerland.com/fr-ch/thermes-de-vals.html

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Un bloc minéral, une architecture digne du dernier James Bond, un bain à 35° qui ouvre dehors avec la neige qui tombe, un autre à 37°, passage dans un autre à 14°, un jacuzzi au bout d’un couloir de pierre. Au sortir du hammam, un baigneur a piqué mon peignoir avec mes lunettes de vue dans la poche. Moment de stress, sans mes yeux. Et là le minéral sous mes pieds et sous mes mains a pris toute sa mesure. le tactile l’emporte lorsque la vue baisse. Les lames de pierres anthracite et mate sont rêches et poreuses. Et hop, dans la poche d’un peignoir abandonné, retour des lunettes. Les transat de repos ouvrent sur une immense baie face à la montagne et aux sapins enneigés.

Et là, au sortir des bains, c’est officiel, la neige recouvre entièrement la route de montagne et la nuit tombe avec. Après deux glissades de la voiture, nous retrouvons une direction en pleine nuit, dans des lacets. Petite frayeur tout de même mais je ne pipe mot. Au bout d’une petite heure chaotique, la voiture patine, puis s’arrête sur la route complètement recouverte. Nous l’abandonnons au bas côté et parcourons les 3 derniers kilomètres en forte montée dans le noir et la poudreuse. Plus aucune voiture ne passe.

Le feu est fait à présent et le chalet est à son max de température, 16°. Une escalope pannée…Tout va bien!

Blanc/Bleu.

Cela fait un peu pub mais ce sont les couleurs du jour. Le soleil éclate sur les 30 centimètres de neige déposés au cours des dernières 48 heures. Beauté à l’état pur ! réchauffe.

Le bus de Tenna serpente entre les lacets enneigés jusqu’à Versam-Safien. Un groupe de chamois s’ébroue sur l’à pic, à deux pas de la route. Puis, un petit train rouge, orné de sa croix blanche, nous emmène à Chur – prononcez Cour – en suivant un défilé somptueux de parois rocheuses et de hautes forêts de sapins. Au fond des gorges, coule le Rhin qui prend sa source non loin de là, quelque part entre les cimes, et le Rhône tout pareil, non loin de là, quelque part là-haut. Ce même train continue jusqu’à Brig, au pied de Zermatt et du Matterhorn. Pour situer plus précisément, au milieu de ce relief accidenté et incompréhensible de montagne, de Chur, qui est équidistant entre Zurich et Milan, on va à Davos et à St Morris. Vous y voyez mieux, j’en suis sûre !

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Le centre de Chur est un village médiéval pavé dont l’architecture oscille entre les maisons Tyroliennes, Bavaroises et Autrichiennes. Les dates de construction sur les façades, les peintures murales, les structures en poutres apparentes parfois, en attestent. Un concert de 7 cornes Suisses s’improvise sur St Martin Platz. Trop de chance ! Ah, c’est spécial…

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Le vent glacial s’engouffre sous les porches et les ponts couverts. Il nous accompagnera au retour tout le long de la vallée et soulèvera des tourbillons de poudreuse jusque tard dans la nuit.

Je ne sais pas si vous avez de la neige, mais ici, cela n’arrête pas de tomber, cette petite sournoise fine, drue, régulière et déterminée qui nappe et assourdit tout le village. Même la dameuse a baissé les bras. On ne voit plus la route, plus personne ne passe. On laisse tomber, rien d’autre à faire qu’attendre et constater que le manteau neigeux ne cesse d’épaissir.

10h10, la déneigeuse tente une percée. Partout où les gens ont passé la pelle à neige, c’est immédiatement recouvert. Et la neige tombe…Aucune importance, il faut juste ne pas avoir à quitter le village.

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30, 40, 50 cm, je m’en suis aperçue en prenant le chemin et la piste de luge entre les sapins. 59 minutes de marche qui comptent double en levant hauts les genoux sous cette neige persistante. On ne distingue plus rien, ni les routes, ni les voitures, presque plus les chalets. Tout cela n’est pas grave sauf si on doit prendre la route, et oui, et moi je dois descendre demain…Comment ?

Un sauna et une pause dans le transat dehors face au grand blanc sont aussi déstressants que le bruit de la mer…

Verdict pour ce dernier matin ; au moins 80 cm de neige ici et au moins 1 m un peu plus haut. Route fermée de puis hier soir, 25 km de bouchons en bas, route rouverte ce matin sous les flocons. Mais là, le soleil brille et le « déneigeage » de la route est en cours. Encore quelques heures et cela devrait être praticable.


1 commentaire »

  1. sussue dit :

    Merci Isa pour ces beaux paragraphes… quel plaisir de te lire et de découvrir ce paysage de tes yeux et de tes sens… merci pour ton sens du partage…
    Des bises et au plaisir de se revoir bientôt « de peau » comme disent les Sourds !

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